Lent divorce dans les marchés émergents

le 5 décembre 2023 | Par: Regina Chi

Lent divorce dans les marchés émergents

La bifurcation des rendements des actions de certains pays en développement en 2023 est frappante. Voici pourquoi il serait avantageux pour les investisseurs de privilégier de solides facteurs fondamentaux dans le contexte en pleine évolution des marchés émergents.

 

Les marchés émergents s’apprêtent à clore l’année 2023 avec un certain fracas, mais relativement ténu. Alors que l’indice MSCI Marchés émergents a progressé en novembre, il est en hausse de 6 % depuis le début de l’année, ce qui n’est pas catastrophique, mais certainement moins bon que les rendements de l’indice élargi MSCI États-Unis (+14 %) et de l’indice MSCI Monde (+19 %).

Ce résultat ne devrait pas surprendre les investisseurs. La vigueur du dollar américain et la hausse des taux de rendement obligataires américains pendant l’année ont pesé sur les monnaies des marchés émergents et limité la capacité des banques centrales à réduire les taux. Récemment, la crise géopolitique au Moyen-Orient a provoqué, dans une certaine mesure, une ruée vers les titres de qualité sur les marchés mondiaux. Les actions chinoises, qui représentent près de 30 % de l’indice MSCI Marchés émergents, ont pour leur part connu une année très décevante, reculant de près de 11 % au cours de novembre. À l’aube d’une nouvelle année, les investisseurs se demandent si les marchés émergents peuvent rebondir de façon soutenue ou s’ils reprendront leur période de repli.

Il y a des raisons d’être optimistes. Les relèvements de taux décrétés par la Réserve fédérale américaine (Fed) tirent sans doute à leur fin, s’ils ne sont pas déjà terminés, et la perspective de réductions de taux se profile de plus en plus pour 2024, ce qui donnera aux marchés émergents la latitude nécessaire pour abaisser eux aussi leurs taux. Un « atterrissage en douceur » dans les marchés développés, s’il devait se concrétiser, protégerait leur rendement économique futur. Dans certains de ces marchés, la situation concernant le budget et les paiements courants est meilleure qu’elle ne l’a été depuis longtemps. L’amélioration des perspectives pour 2024 repose sur le potentiel de reprise en Chine, qui tarde à se réaliser en cette période postpandémique.

Cela dit, les scénarios pessimistes ne manquent pas. L’inflation et la hausse des taux pourraient aller à l’encontre des prévisions actuelles et persister l’année prochaine. La Chine pourrait encore décevoir. Étant donné l’incertitude qui règne, le contrepoids des possibilités et des risques indique que les investisseurs qui font preuve de prudence sur les marchés émergents auraient avantage à concentrer leur attention sur les facteurs fondamentaux et à choisir leurs titres avec soin en 2024.

Examinons d’abord le « meilleur » scénario, en commençant par la Chine. On pourrait difficilement trop insister sur le fait que les actions chinoises ont nui au rendement global des actions des marchés émergents en 2023. L’économie chinoise est sortie de la pandémie de COVID-19 profondément meurtrie et ne s’est pas encore tout à fait rétablie. Après la pandémie, les mesures de relance ont été initialement beaucoup moins importantes et moins efficaces que prévu; notre prévision de croissance du produit intérieur brut (PIB) de la Chine en 2023 n’est que de 4,7 %, soit un point de pourcentage de moins qu’en début d’année. Selon nous, le principal obstacle économique de la Chine demeure sa dépendance excessive à l’égard des investissements en immobilisations. Ce pays doit, comme il le fait depuis plusieurs années, rééquilibrer son économie en favorisant la consommation.

Malgré ces difficultés, la Chine pourrait être proche de la fin d’un ralentissement cyclique plutôt qu’au milieu d’un ralentissement structurel. Les achats dans le secteur manufacturier, la production industrielle et les ventes au détail se sont accrus à la fin de l’été et à l’automne, tandis que les dépenses de consommation, qui s’étaient effondrées en milieu d’année, ont repris. La politique macroéconomique est devenue plus favorable, alors que la banque centrale chinoise a réduit ses taux et les réserves obligatoires des banques. Pékin a pris plusieurs mesures pour soutenir la demande intérieure, notamment des incitatifs à l’achat de propriétés et à la mise en valeur de vastes étendues de terrains en zones urbaines en vue de la construction d’habitations. Fait remarquable, le déficit budgétaire de la Chine a diminué de 4,7 % entre le milieu de 2022 et le milieu de 2023 (tandis que celui des États-Unis a augmenté presque du même pourcentage). Toutefois, le gouvernement semble avoir changé de cap dernièrement et les économistes prévoient un déficit budgétaire de 3,5 % en 2024. Cela pourrait ouvrir la voie à une reprise économique et à une hausse des rendements des actions chinoises.

Si les actions chinoises finissent par remonter, elles pourraient alors donner un sérieux coup de pouce aux actions des marchés émergents.  Pourtant, à certains égards importants, nous croyons que la Chine compte moins pour les autres marchés émergents qu’auparavant. L’une des raisons est tout simplement que ce sont surtout des facteurs nationaux, et non mondiaux, qui sont à l’origine du récent ralentissement de la Chine. Cela explique l’absence marquée de répercussions sur le marché provoquées par les difficultés de cette superpuissance. Entre-temps, les marchés développés tentent de plus en plus de réduire les risques que pose la Chine en déplaçant leurs chaînes d’approvisionnement vers des contrées plus favorables, ce qui a directement profité aux économies émergentes comme le Mexique et l’Inde.

Résultat : les actions des marchés émergents hors Chine s’en sont bien tirées en 2023, ayant progressé de 13 % au cours de novembre. Et certains pays ont fait nettement mieux. En fait, la bifurcation des résultats entre la Chine et les marchés hors Chine est remarquable. Quatre des cinq principaux pays au sein de l’indice MSCI Marchés émergents, soit l’Inde, Taïwan, la Corée et le Brésil, devraient terminer l’année 2023 en territoire positif; la Chine fait figure d’exception. D’autres pays émergents plus alignés sur l’Europe que sur la Chine ont enregistré des rendements exceptionnels. Les indices MSCI Pologne et MSCI Hongrie, par exemple, ont bondi de 37 % et de 41 %, respectivement, en novembre, stimulés par le recul de l’inflation, des taux d’intérêt et des prix de l’énergie ainsi que par des valorisations initiales relativement faibles.

Nous assistons peut-être à un lent divorce entre les perspectives de croissance de la Chine et les marchés boursiers et ceux d’autres marchés émergents. Le Mexique, par exemple, tire largement parti de la délocalisation dans un pays proche. Son marché boursier et sa monnaie ont affiché une bonne tenue en 2023, et il a remplacé la Chine parmi les principaux exportateurs vers les États-Unis.

Par ailleurs, l’influence géopolitique grandissante de l’Inde, ses réformes économiques structurelles et la forte croissance de son PIB (prévision de 6,5 % en 2023) stimulent l’intérêt des investisseurs pour ce pays. L’avenir de l’Inde ressemble beaucoup au passé de la Chine à bien des égards. Le potentiel de l’Indonésie, quatrième pays le plus peuplé du monde, où l’âge médian n’est que de 30 ans, est peut-être moins connu. Cette immense population reste sous-bancarisée (ce qui offre d’énormes possibilités de croissance pour les banques et les sociétés de paiement en ligne) et sous-connectée (le commerce électronique ne représente que 4 % du PIB, contre 11 % en Chine).

L’Indonésie est également un important fournisseur de nickel, composant clé des batteries de véhicules électriques. De plus, la demande intérieure augmente et l’Indonésie est en voie d’enregistrer une croissance annuelle de son PIB de plus de 5 %.

Ensemble, le potentiel d’une reprise économique en Chine et la vigueur de certains autres marchés émergents pourraient donner lieu à un rebond soutenu des marchés émergents en 2024. Ce redressement dépend toutefois d’un certain nombre de facteurs. L’un d’entre eux est évidemment une reprise en Chine, qui ne saurait tarder maintenant que les valorisations sont intéressantes, que la confiance est probablement à son plus bas et que les données macroéconomiques semblent vouloir s’améliorer. Pour que ce scénario se réalise, il faudra également que les taux obligataires américains atteignent un sommet et qu’en corollaire, le dollar américain retombe. En 2023, les marchés émergents se sont comportés selon le scénario habituel (quand le billet vert s’apprécie, les marchés émergents chutent), mais si la Fed marque une pause ou décrète des baisses de taux en 2024, une dépréciation du dollar américain et une remontée des marchés émergents pourraient s’ensuivre. Enfin, un apaisement des tensions au Moyen-Orient permettrait également de dissiper certaines des inquiétudes qui pèsent sur les marchés émergents.

En résumé, un certain nombre de conditions doivent être réunies pour que les marchés émergents reviennent en force en 2024, et plusieurs choses pourraient mal tourner. Nous croyons que l’un des plus grands risques de baisse pour les actions des marchés émergents est une augmentation structurelle des taux obligataires, qui pourrait se produire si l’inflation s’avérait encore une fois plus persistante que prévu. Des coûts d’emprunt plus élevés entraîneront un affaiblissement de la situation financière des pays, ce qui signifie que les gouvernements des marchés émergents devront faire preuve d’une plus grande rigueur budgétaire (facteur défavorable à la croissance).

La persistance éventuelle du ralentissement de l’économie chinoise présente un autre risque de baisse. L’économie de la Chine demeure aux prises avec des difficultés de taille : dette, situation démographique et déflation. Son marché immobilier est léthargique, et 70 % de la richesse des ménages chinois est liée à l’immobilier. Le risque d’une déflation par la dette subsiste en Chine et, si cela se produit, la croissance globale dans les marchés émergents pourrait être compromise. En dépit des tendances vers un découplage, de nombreux marchés émergents sont toujours exposés à la Chine. En ce qui concerne le revenu, les actions de Taïwan et du Brésil sont les plus exposées; sur le plan économique, le Chili, la Malaisie, le Qatar, la Thaïlande, l’Indonésie et le Brésil sont les pays les plus exposés en raison de leurs exportations vers la Chine. En revanche, les marchés émergents d’Europe centrale seraient probablement moins vulnérables si le ralentissement en Chine devait se poursuivre.

Dans l’ensemble, nous croyons que les marchés émergents offriront toujours des occasions de placement, quoique plus isolées. Une approche différenciée et rigoureuse qui privilégie de solides facteurs fondamentaux, une bonne situation structurelle et une prime de risque élevée, tant au niveau du marché que des actions, sera probablement un élément clé en 2024.

Regina Chi
Regina Chi, CFA®
VP et gestionnaire de portefeuille
Placements AGF Inc.
VP et gestionnaire de portefeuille

Regina Chi est la responsable des stratégies des marchés émergents d’AGF. Elle recherche des sociétés de qualité qui présentent des catalyseurs fondamentaux et des avantages concurrentiels viables à long terme, ainsi que des évaluations attrayantes. Mme Chi est membre du Comité de répartition de l’actif AGF, un groupe de spécialistes chevronnés en matière d’investissement qui se réunissent chaque trimestre pour discuter, de même que pour analyser et évaluer l’actualité macroéconomique et les marchés des capitaux, afin de déterminer une répartition optimale de l’actif. Elle copréside également le Comité d’AGF consacré à l’équité, à la diversité et à l’inclusion, lequel vise à réaliser ou à accentuer une sensibilisation à l’échelle organisationnelle, à l’égard de ces questions, de même qu’à promouvoir les pratiques exemplaires en la matière au sein de la Société.

Elle possède plus de 25 ans d’expérience en matière d’actions internationales. Avant de se joindre à AGF, elle était partenaire dans une société d’investissement spécialisée aux États-Unis, où elle occupait le poste de gestionnaire de portefeuille dans les domaines des valeurs internationales et des marchés émergents. Elle a également été chef de la gestion de portefeuilles et de la recherche relativement aux stratégies des petites capitalisations internationales, des titres internationaux, des titres mondiaux et des marchés émergents. Auparavant, elle a exercé divers rôles mettant à profit son expérience en gestion de placements au sein de plusieurs sociétés d’investissement, spécialisées ou de grande envergure, aux États-Unis.

Mme Chi est analyste financière agréée (CFA®) et titulaire d’un baccalauréat en économie et en philosophie de l’Université Columbia. Elle est également membre de l’association 100 Women in Finance, dont le travail vise à renforcer l’industrie de la finance à l’échelle mondiale en donnant aux femmes les moyens d’atteindre leur potentiel professionnel à chaque étape de leurs carrières.


Gestionnaire de portefeuille à Placements AGF Inc. et à AGF Investment America Inc. CFA® (Chartered Financial Analyst®) est une marque de commerce du CFA Institute.

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