À la mémoire d’un géant
12 min de lectureBlake et Judy Goldring font l’éloge de leur père, C. Warren Goldring, peu avant son entrée, à titre posthume, au Temple de la renommée du secteur des valeurs mobilières.
Il suffit de les entendre évoquer leur père défunt pour comprendre l’amour et l’admiration que lui portaient Blake et Judy Goldring. Après tout, comment en serait-il autrement? Il était l’incarnation de la réussite et il a, plus que tout autre homme qu’ils ont connu, influencé leurs vies.
Pourtant, ce n’est pas la longue liste de ses réalisations qui interpelle le plus lorsqu’il est question de l’héritage de Warren Goldring, à titre de cofondateur de La Société de Gestion AGF Limitée. Non, ce qui m’a le plus impressionné, ce sont les valeurs qu’il défendait et l’attention qu’il prêtait aux autres.
« C’était quelqu’un de particulièrement humble et nous l’admirions énormément », déclare Judy Goldring, pendant que Blake Goldring, assis à côté d’elle dans l’une des salles de réunion d’AGF, à Toronto, acquiesce d’un signe de tête. « C’est une qualité que les gens ont tendance à perdre quand ils réussissent; pourtant, notre père s’est toujours rappelé ses origines et n’a jamais pris son succès pour acquis. »
Précisons qu’il ne s’agit pas là seulement des sentiments d’un fils et d’une fille dévoués. Pour quiconque le connaissait, Warren Goldring compte, sans l’ombre d’un doute, parmi les chefs de file les plus respectés du Canada des 50 dernières années, tant du point de vue de son œuvre philanthropique que de sa contribution professionnelle. Son intronisation, à titre posthume, au Temple de la renommée des valeurs mobilières, qui aura lieu ce mois-ci, n’est qu’une preuve supplémentaire des exploits considérables qu’il a accomplis au cours de sa vie.

Mais Warren Goldring n’était pas du genre à se contenter de la renommée familiale : adolescent, il était la définition même de l’étudiant athlète, qui brillait aussi bien en classe que sur le terrain de football des Panthers, de l’école secondaire de Lawrence Park. Une fois dans la vingtaine, il a poursuivi l’excellence académique en obtenant un diplôme de la London School of Economics. Bien entendu, toutes ces réalisations n’étaient que des jalons intermédiaires qui l’ont mené plus haut, y compris le temps considérable qu’il a passé à travailler, au début de sa carrière, au cabinet de courtage Fry & Co. et auprès de la compagnie d’assurance-vie Sun Life. Plus tard, il a participé à la rédaction du rapport Kimber, un ensemble de recommandations établi par le comité du procureur général, qui demeure, aujourd’hui encore, au cœur des mesures législatives relatives aux valeurs mobilières en Ontario.
« Je me souviens d’avoir lu quelque chose à propos du rapport Kimber pendant mes études de droit et d’avoir pris conscience du fait que mon père était membre du comité à l’origine de ce rapport, déclare Judy Goldring. Avant cela, je ne pense pas que je mesurais pleinement l’étendue de son influence dans le domaine financier. »
Quant à l’œuvre philanthropique de Warren Goldring, elle est tout aussi impressionnante. Outre les contributions importantes qu’il a apportées, au fil des années, à divers organismes, tels que Centraide et le Fonds mondial pour la nature du Canada (WWF Canada), il a parrainé la chaire Goldring en études canadiennes de l’Université de Toronto, en plus d’appuyer le Canada Institute, du Centre Woodrow Wilson à Washington, et la conférence annuelle C. Warren Goldring sur les relations canado-américaines.
Toutefois, le plus grand accomplissement de Warren Goldring est bien entendu AGF, la société de gestion d’actifs qu’il a cofondée avec Allan Manford en 1957, et dont il a rapidement fait un pilier en matière de fonds communs de placement. AGF gère aujourd’hui un actif de plus de 41 milliards $ et célébrera son 65e anniversaire en avril prochain.
Blake Goldring qualifie son père d’« homme d’action », mais affirme que l’impact de ce dernier sur la croissance de la société tenait aussi bien de son avant-gardisme que de son engagement à l’égard de l’innovation. À l’époque du lancement de l’American Growth Fund, qui a donné son nom à AGF, l’idée d’effectuer des placements dans un portefeuille géré composé d’actions ou d’obligations n’était guère répandue, et les Canadiens qui participaient aux marchés financiers détenaient principalement des actifs du pays, rien d’autre.
« C’était un véritable visionnaire, raconte Blake Goldring. Il examinait en permanence quelle direction l’industrie allait prendre, il était en avance sur son temps en ce qui concerne l’investissement sur les marchés internationaux : au-delà de son fonds initial, AGF a également été la première société canadienne à offrir un fonds composé exclusivement de titres de la Chine et elle compte parmi les premières sociétés à avoir lancé un fonds de titres asiatiques. Par ailleurs, nous étions aussi présents sur le marché européen à une époque où les investisseurs voyaient l’Europe comme une destination de voyage, mais où peu d’entre eux envisageaient de trouver des occasions de placement. »
Blake Goldring, deuxième de la famille de cinq enfants de Warren et Barbara Goldring, a repris les rênes de son père à la tête d’AGF en 2000, apprenant ainsi directement ce que signifie le fait de diriger une société prospère, tout en ne perdant jamais de vue l’importance que revêtent la famille et les amis. Il tient cet équilibre entre vie personnelle et professionnelle de son père. Pendant notre entrevue, Blake a d’ailleurs évoqué deux anecdotes marquantes, qui illustrent le sens inébranlable des priorités qu’avait son père.
La première, comme il le raconte lui-même, eut lieu lors de vacances familiales au Portugal, en 1971. Alors qu’ils étaient sur le point de monter dans une fourgonnette Volkswagen orange vif et de prendre la route en direction du sud pour rejoindre Algarve depuis Lisbonne, Warren Goldring reçut un appel urgent de l’un de ses collègues à Toronto. L’action d’AGF était en train de s’effondrer, après l’annonce selon laquelle le président américain Richard Nixon avait mis un terme à la convertibilité du dollar américain en or, dans le cadre de son plan économique de grande envergure.
« Je n’avais que 13 ans, mais je me souviens de l’urgence apparente de la situation; mon père m’avait alors expliqué que certains investisseurs du American Growth Fund s’inquiétaient de la valeur sous-jacente des titres des sociétés détenues en portefeuille », explique Blake Goldring, en ajoutant que le collègue voulait que son père prenne un vol sans tarder pour Toronto.
« Sa réponse devait donner quelque chose comme ceci : ‘Je ne peux pas faire changer d’avis le président américain, mais si tu ne peux pas assurer la permanence quand je suis en vacances avec ma famille, nous avons peut-être des problèmes bien plus sérieux à régler à mon retour.’ Ces paroles peuvent paraître dures, mais mon père a toujours eu une grande estime pour ses collaborateurs, et il souhaitait leur donner autant que possible les moyens d’agir. Et puis, il est clair qu’il ne voulait pas pour autant sacrifier le temps qu’il nous accordait. »
Blake Goldring confie une autre anecdote, qui s’est produite lors d’un repas au restaurant situé sur une plateforme tournante, en haut de la Tour CN, à Toronto, à l’occasion du soixantième anniversaire de Warren Goldring. C’était le 21 octobre 1987, soit deux jours après le Lundi noir, la pire liquidation en une seule journée de l’histoire des marchés boursiers.
« Nous avions prévu qu’un avion passe devant la Tour CN en tirant une banderole sur laquelle nous souhaitions un joyeux soixantième anniversaire à notre père, explique Blake Goldring. On peut imaginer l’anxiété qu’il ressentait, compte tenu du tumulte qui avait été déclenché pendant la semaine. Il n’a pourtant rien laissé paraître : il n’allait tout de même pas manquer ce repas. Nous avons donc admiré l’avion circuler au moins cinq fois. »
Judy Goldring garde elle aussi un souvenir précieux de cet anniversaire, mais elle a son propre lot d’anecdotes à partager à propos de Warren Goldring, aussi bien en tant que père que mentor au début de sa carrière. Il a joué un rôle décisif presque instantanément sur l’orientation de sa carrière, dès qu’elle a commencé à travailler à AGF pendant ses vacances d’été, quand elle était encore adolescente.
« J’ai travaillé à la salle du courrier, de même qu’au service de la comptabilité et j’ai même fait un essai au bureau des négociations, déclare-t-elle. Mais le souvenir le plus marquant que je garde de ces étés de jeunesse passés à travailler à AGF, c’est l’amour qu’avait mon père pour son travail, ainsi que la passion et la fierté qu’il éprouvait à l’égard d’AGF. C’est à ce moment là que j’ai su que je voudrais me joindre à la société plus tard. »
Pourtant, ce n’était pas gagné d’avance, ajoute-t-elle. Contrairement à ce que pourraient penser certains, les enfants de Warren Goldring n’ont jamais été destinés à lui succéder à la tête de la société. Judy et Blake ont dû faire leurs preuves ailleurs, avant d’entrer à AGF. Judy précise, amusée, que ce n’est pas son père qui a fini par l’embaucher, mais son frère Blake.
« Après trois années passées dans un cabinet juridique privé, j’ai annoncé à mon père que j’étais prête à me joindre à AGF. Il m’a répondu que nous n’avions pas besoin de conseil juridique en interne, que nous n’en aurions jamais besoin, car cela coûtait trop cher. Heureusement pour moi, la réglementation relative aux valeurs mobilières n’a cessé de se complexifier au fil des années; c’est pourquoi Blake m’a embauchée peu de temps après. La suite, on la connaît, comme on dit. »

Aujourd’hui présidente et chef de la distribution à l’échelle mondiale d’AGF, Judy Goldring est au cœur de l’action. Elle joue un rôle déterminant au sein de l’équipe de direction, supervisée par Kevin McCreadie, qui occupe le poste de chef de la direction depuis 2018, et au sein du conseil d’administration, présidé par Blake Goldring. Elle est d’avis qu’AGF évolue dans un environnement bien différent de celui que connaissait son père, mais une chose n’a pas changé depuis cette époque : l’adhésion de la société aux valeurs qui lui étaient chères.
« Que ce soit notre percée initiale dans le monde des actifs alternatifs lorsque Blake était chef de la direction, ou notre expansion dans le segment du crédit privé et l’ajout de capital-risque à l’initiative de Kevin McCreadie, il a toujours été primordial que nous continuions d’innover, comme le faisait notre père, déclare Judy Goldring. C’est la démarche à adopter pour la société, et pour nos investisseurs. »
Blake Goldring abonde de tout cœur dans ce sens et Warren Goldring en ferait de même, il en est convaincu.
« Nous avons connu un grand nombre d’excellents collaborateurs au fil des années, mais le groupe que nous formons aujourd’hui – à commencer par l’équipe de la haute direction, puis tout le reste de la société – témoigne d’un sens de l’unité formidable, de dynamisme et de détermination, déclare Blake Goldring. Si notre père était encore là aujourd’hui, il serait enchanté et nous encouragerait à continuer. C’était dans sa nature. »
Pour conclure, Warren Goldring était le genre d’homme dont on ne cesse de vanter les qualités, même 11 ans après son décès. Il a laissé une empreinte indélébile sur sa famille, ses amis et sa communauté, et ce, tout en se forgeant une réputation de véritable géant dans l’industrie de l’investissement au Canada. Un homme digne du Temple de la renommée. Seul l’amour d’un enfant pour son père pourrait être encore plus évident.

David Pett est directeur attitré, Communications sur les investissements. Il est rédacteur en chef du blogue Perspectives AGF et animateur de la série de baladodiffusions d’AGF consacrées aux marchés financiers et à l’investissement.